Architecture
religieuse:
le décor des églises
jumelles
Olivier Ribeton
Conservateur du Musée
Basque à Bayonne
Article paru dans
l’ouvrage Le Pays de Cize, éd.
Izpegi, 1991, pages 181 et suivantes.
Dans cadre de cet article, il ne pouvait être question d'étudier toutes les églises, chapelle, oratoires de ce vieux pays. Un fait nous a surpris: c'est de constater que nombre de ces édifices religieux allait par paires. Aussi, sans vouloir privilégier telle ou telle paroisse, nous abordons la description de quelques églises jumelles que le visiteur découvrira mieux en s'y rendant lui-même, en goûtant le charme des éléments décoratifs qu'il lira dans ce guide complet et en méditant sur le message exprimé dans la pierre ou le bois par des générations d'artisans épris de leur art. Ils traduisent l'indicible religieux avec une saveur populaire que comprend aussitôt le fidèle.
La renommée touristique a consacré les deux curieuses
chapelles d'Alciette et de Bascassan que Gil Reicher déclarait "absolument sœurs quant à la
construction et à la décoration", tout en s'inquiétant, il y a cinquante
ans déjà, d'attirer l'attention sur elles, précieux trésors qui seront sauvés
par les amis du Pays Basque (1).
Alciette et Bascassan
Sainte-Croix d'Alciette est mentionnée dans les archives dès
le début du XIVe siècle. Saint André de Bascassan faisait partie du
territoire d’Alciette au XVIe siècle et possédait un hôpital,
Ospitaletxe. Les deux paroisses avaient une maison noble ou infançonne, ce qui
justifie peut-être à l’intérieur de chacune
des églises, la présence d’une loge latérale réservée à ces familles.
Mais Gil Reicher y voit plutôt une galerie servant aux chanteurs et aux prêtres
durant les vêpres.
Les deux paroisses furent réunies à celle d’Ahaxe au XIXe
siècle et leurs églises prirent rang de chapelles. Leur aspect est encore
identique à quelques détails près. Sous le porche surmonté d’un auvent, des
bancs de pierre sont adossés au mur de l’église. Cette disposition est presque
générale dans les édifices religieux que nous parcourons en Pays de Cize.
A Bascassan, un escalier extérieur sur la façade côté droit,
monte jusqu’à la tribune arrière et permet par là, d’accéder au clocher dont la
cloche vénérable était sonnée régulièrement par la dernière benoîte qui, signe
des temps modernes, l’actionnait quelquefois depuis sa chambre située dans la
benoîterie voisine, grâce à un système ingénieux en fil de fer. Une
restauration récente a fait disparaître l'escalier extérieur de la chapelle sœur
d'Alciette.
Eglise de Bascassan: entrée de serrure de la porte d'entrée |
La serrure en fer forgé de la porte d’entrée de Bascassan
était un sujet de discussion avec la benoîte : cet étrange personnage
tenant une épée était-il l’archange saint Michel ou quelque diable ? Au
sujet de la serrure moins travaillée d'Alciette, Gil Reicher y voyait un Christ
embryonnaire...
Cependant la richesse de ces églises demeure leur décor
intérieur qui allie de manière originale, l’architecture classique du bois
travaillé et la vivacité des peintures maladroites. Eugène Goyheneche estimait
avec raison ces «peinture naïves attachantes par la fraîcheur de l’inspiration
et l’harmonie des couleurs» (2).
A Saint-Croix d'Alciette, sur la gauche, avant le chœur, un
petit autel de la Vierge
possède un retable composé de deux belles colonnes cannelées à soubassement
orné d'un enroulement de pampres rustiques et à chapiteaux ioniques très purs.
Sur un entablement classique, est posé un beau fronton en arc de cercle décoré
de modillons. Au-dessus du cintre, est posée une croix de bois ouvragée. Ce qui
frappe l'œil, c'est la polychromie franche et juste utilisée pour la mise en
valeur des détails architecturaux. s'y ajoutent les motifs peints
essentiellement en rouge, noir et bleu pour le tympan (une fleur au milieu des
festons) et pour la prédelle d'autel (deux magnifiques fleurons d'acanthe).
Au centre, un cadre à la moulure d'or possède deux écoinçons
en fleur de lys bleue. Il délimite une scène peinte à même le mur: une Vierge à
l'Enfant sur fond de paysage réduit à une colline étrange, un arbre et une
maison évoquant sans doute la Santa Casa
de Lorette.
A l'imitation de l'art primitif, les contours des personnages
sont soulignés par de gros traits noirs et les proportions sont fausses. La
maladresse du dessin et la difformité des corps séduisent pourtant et nous
restons étonnés devant la pose déhanchée d'un enfant Jésus nu et debout, appuyé
contre sa mère, et dont les lignes du corps sont marquées comme les plombs d'un
vitrail ou le crayon forcé d'une caricature. Gil Reicher le décrit
"extravagant, gros à plaisir, bizarre de forme, articulé".
Le mur du chœur donne la même impression d'opposition entre
une architecture classique et des peintures naïves. Cependant, le retable se
partage ici en deux étages et cinq travées inégales avec une architecture en
trompe-l'œil, sur les côtés. La travée centrale et les deux immédiatement
latérales sont entourées de belles colonnes de bois, cannelées, avec un décor
torsadé à la base, sommées de chapiteaux ioniques soignés. Les entablements
sont ornés de frises de fleurs peintes au premier étage et de modillons au
deuxième. Au centre, les entablements forment un cintre, peu accentué, celui du
dernier étage étant surmonté d’un décor en bois découpé : une croix
plantée dans un vase et accostée par deux curieuses vagues —volutes renversés—
parsemées chacune d’une nuée de petits points bleus peints autour d’une fleur
géométrique bleue et rouge, rappelant les sculptures quadripartites des stèles
basques. Sous la voûte, une profusion ornementale peinte de couleurs vives sur
fond blanc, mêle les entrelacements végétaux à deux anges figurés, accrochés
aux colonnes latérales. Motifs et couleurs traduisent le goût de la première
moitié du XVIIe siècle en France.
Alciette: autel de la Vierge |
Les entrelacs peints se retrouvent sous l’architecture
feinte des deux extrémités, architecture qui met en valeur les grandes
peintures de Sainte-Catherine-d’Alexandrie à notre droite, avec sa roue et sa
palme, et de Saint-Michel-l’Archange à notre gauche, casqué en guerrier romain
à la mode Louis XIII et qui soupèse bien haut les âmes des pauvres pêcheurs,
avec un diable aux doigts griffus qui tombe dans les flammes de l’Enfer, sous
le pied de l’ange.
Au dessus de maître-autel, la peinture figure six
personnages réunis autour d’un hôtel, dont la Vierge agenouillée, saint-Joseph tenant un cierge
allumé et un prêtre coiffé d’une mitre et d’un manteau rouges portant dans ses
bras l’Enfant Jésus. Cette scène illustrant la Présentation au
Temple plutôt que la
Circoncision , est survolée par une petite colombe de
Saint-Esprit qui étend ses rayons dorés. L’offrande du Christ est consommée
avec le curieux tableau du registre supérieur où apparaît Jésus en croix, mais
traité comme un crucifix de salon, entouré cependant de deux têtes d’anges
voletant sous les bras, et deux autres anges agenouillés, l’un avec les ailes
déployées et le bras droit levé, l’autre avec les mains jointes. De chaque côté
de ces mystères centraux, les grands apôtres : Saint-Pierre et ses clefs à
notre gauche, Saint-Paul et son glaive à notre droite, puis au-dessus autour du
crucifix, une sainte femme debout essuyant ses larmes, probablement la Sainte-Vierge en Stabat Mater et Saint-Jean-Baptiste avec
un agneau. Celui qui a reconnu «l’Agneau de Dieu» est en général remplacé à la
gauche de la croix par Saint-Jean-l’Evangéliste. Une peinture de Saint-Jean
baptisant le Christ occupe à gauche de l’entrée, dans la même église, les deux
vantaux supérieurs de la porte des fonds baptismaux, surmontée d’un curieux
fronton sculpté.
Apôtres et saints sur la voûte |
La décoration peinte d’Alciette continue au plafond, où sont
figurés les Apôtres dans des tableaux plus tardifs (XVIIIe
siècles ?), au milieu d’un ciel étoilé. Nous voyons à notre gauche, à
partir du chœur : Saint-Jean l’Evangéliste avec l’aigle et la coupe
empoisonnée d’où sort un dragon (Saint-Jean porte ici une barbe en
contradiction avec la
Tradition ), Saint-André er sa croix, Saint-Simon et sa scie,
Saint-Barthélémy et son couteau ; et à notre droite : Saint-Marc et
le lion, Saint-Jacques le majeur avec le bourdon et la coquille, Saint-Philippe
avec la croix et un livre ouvert et Saint-Jacques le Mineur avec un livre
fermé. Gil Reicher note que chacun des apôtres «se détache sur un délicieux
petit paysage plein d’agreste simplicité».
Au centre du plafond, où de grandes planches de bois sont
courbées, jointées et clouées sous la charpente jusqu’à donner l’impression
d’une carène renversée, le peintre a reproduit la colombe tenant dans son bec
le triangle biblique au milieu d’une gloire de rayons rouges.
Une chaire très petite à panneaux sculptés en triangle et
peints, probablement du XVIIIe siècle, est accrochée au mur de
droite. On y accédait par le loge du chœur fermée par de maigres balustres
tournés. L’escalier qui menait à cette loge s’est effondré. Au-dessous, se
trouve la petite sacristie, où l’on voit comme à Bascassan une émouvante
gravure du XVIIe siècle représentant le Christ en croix entre le
soleil et la lune, la Vierge
et Saint-Jean. Cette gravure en deux feuilles est typique des images colportées
à travers la France
d’Ancien régime et qui servaient souvent de modèles aux peintres du terroir. Avant
de quitter Alciette, admirons près de l’entée le grand Christ en Croix dont le
corps est taillé dans une seule pièce de bois, à l’exception des bras. Avec le
fauteuil du célébrant en noyer tourné et sculpté de fougères et avec le meuble
de sacristie, il témoigne de l’habileté des artisans locaux su XVIIe
siècle.
Alzietako tabernaklea |
Après la description d’Alciette, il est facile d’indiquer
les rares différences rencontrées à Saint-André-de-Bascassan : la chaire à
prêcher se trouve sur le mur gauche, à la place de l’autel de la Vierge. On y accède par un
simple escalier en échelle. Du coup, l’autel de la Vierge est reporté dans le
chœur, juste à côté de l’autel majeur et accentue la dissymétrie des retables.
En effet, derrière le maître autel semblable à celui d’Alciette, se déploie une
architecture totalement décalée sur notre droite : on retrouve cinq travées
au retable principal, mais très étroites entourées de colonnades cannelées ou
torsadées très simples, sans chapiteaux véritables, sinon vaguement doriques.
Les entablements sont aussi simplifiés, avec des lignes droites, des motifs
sculptés de fleurs ou de cercles quaternaires proches des décors des stèles
basques. Pas de place pour des sujets composés : chaque travée, chaque
étage montre la figure peinte d’un unique saint avec son nom inscrit dessous.
Autour de Saint-André, le saint patron, nous voyons Saint-Léon portant sa tête,
Saint-Pierre apôtre, Saint-Paul apôtre un autre Saint-Pierre martyr. Cinq
autres personnages occupent le registre supérieur : Sainte-Madeleine et la Vierge essuyant ses larmes
à la droite du Christ en croix, Saint-Jean (?) et un saint agenouillé à sa
gauche.
Cet étage est surmonté d’une composition très surprenante
que décrit Gil Reicher : «D’une gloire en bois sculpté, Dieu le père sort
à mi-corps s’avançant dans l’église presque horizontalement. Il tient d’une
main le globe terrestre. Sa figure est extraordinaire. Ses yeux ronds vous
fixent avec violence…». Tout aussi étrange, et Gil Reicher n’en parle pas, est
la présence du Christ ressuscité, tenant sa croix au milieu de rayons. Il est
peint en buste sur un panneau en demi-cercle, un peu penché vers le fidèle et
placé à droite du Père éternel et plus haut que lui, au-dessus d’un panneau
sculpté d’ornements architecturaux.
Encore plus à droite du Père et du Fils, mais plus bas, se
trouve la colombe du Saint-Esprit qui domine l’autel de la Vierge dans une recherche
symbolique très poussée. La colombe sculptée en fort relief est placée au
milieu d’un cercle rayonnant d’or et d’argent, en léger relief parmi les nuages
blancs et un ciel bleu étoilé que l’on retrouve à la voûte du plafond. Sur
cette voûte en carène renversée, pas d’apôtres peint comme à Alciette, mais au
milieu des étoiles, la lune et le soleil avec des rayons et à la jonction de la
voûte et des murs latéraux, une longue et jolie frise de rinceaux rouges,
jaunes bleus, roses sur fond blanc qui rappelle l’ornementation XVIIe
siècle d’Alciette. Le goût chatoyant de cette époque se voit encore dans les
beaux bouquets sortant de vases dorés, peints sur la prédelle de l’autel de la Vierge. Au dessus, une peinture
de la Vierge à
l’enfant debout, dont le style fait penser à celle d’Alciette en plus sage, est
entourée de saintes femmes dans les compartiments latéraux distribués par les
colonnes torsadées. Au-dessus de la
Vierge , on reconnaît une peinture de Sainte-Catherine d’Alexandrie
avec sa roue, qui occupe de même que Saint-Michel l’Archange, ici reporté à
notre droite, à l’opposé, une place exactement inversée par rapport à leur position
à Alciette. A Bascassan, Saint-Michel l’Archange, ici reportée à notre droite,
à l’opposé, une place exactement inversée par rapport à leur position à
Alciette. Ici à Bascassan, Saint-Michel paraît davantage belliqueux, avec
l’épée brandie vers le spectateur et les jambes en mouvement. Le diable
effondré en enfer est tout aussi désespéré. Remarquons qu’à Bascassan, cette
peinture est sur toile, alors qu’elle est sur bois à Alciette. Même emplacement
pour le Christ en croix à l’entrée à droite, seule l’expression diffère. On
peut aimer le Christ cloué à Bascassan plus soigné, à la chevelure travaillée.
Gil Reicher préférait celui d’Alciette qui lui semblait «à la fois bizarre et
plus humain». Les dater paraît difficile : ils ne sont probablement pas
antérieurs au XVe siècle.
Béhorléguy et Mendive
Béhorléguy et Mendive
En plus modeste, l’église Notre-Dame de l’Assomption de
Béhorléguy reprend le plan rectangulaire très simple de Saint-Vincent de
Mendive, avec un clocher coiffé d’un toit à quatre pentes. Sur la façade
latérale, des corbeaux de pierre grise sont peut-être des vestiges d’une
construction disparue. Le ciment et la peinture blanche recouvrent les pierres
qui pouvaient être aussi bien appareillées qu’à Mendive.
A l’intérieur, un sol dallé mène à un petit retable composé
d’une peinture de l’Assomption, entourée de deux colonnes cannelées au centre
duquel est sculpté un Dieu le Père, figuré sous les traits d’un jeune homme.
Deux grandes volutes latérales sont décorées de guirlandes de tournesol.
Le plus remarquable dans la décoration intérieure est la
série de statues en bois peint accrochées sur les murs : à gauche du
retable, une sainte femme hiératique date du Moyen-âge, si l’on se fie aux plis
rigides de la robe rouge et au drapé classique du manteau bleu. Le visage un
peu abîmé frappe par l’impression de distance et de méditation intérieure,
souligné par une chevelure rigide et une couronne très simple serrant la tête.
Ses avant-bras étant sectionnés, cette statue a perdu les attributs qui
auraient permis de l’identifier. Peut-être tenait-elle un enfant Jésus, ce qui
justifierait son appellation de «Vierge en majesté ».
A droite du retable, une autre statue, beaucoup plus
récente, est sculptée dan un registre baroque : reposant sur deux têtes
d’anges aux joues roses, une femme tend les deux bras en avant, avec les mains
ouvertes en signe d’offrande. Le visage
poupin encadré de cheveux noirs bouclés, le voile et le robe malhabilement
agités, traduisent une œuvre naïve. L’effet général de la statue est inattendu,
mais dégage un certain charme.
L’archange Saint-Michel, sur le mur latéral de droite, est
plus traditionnel. Le grand Christ en croix, sur le mur de gauche, est très
beau et sa tête se penche en un mouvement d’accueil vers le fidèle qui entre. A
côté, se trouve une croix de procession en bois très peu travaillé.
Dans le cimetière, un calvaire en pierre daté de 1822, est
monté sur une colonne. Deux têtes allongées sont sculptées sous les bras de la
croix. Des stèles discoïdales ont été ajoutées à la base. Les tombes sont
surmontées de croix bas-navarraises.
Mendive apparaît dans les textes, dès le XIIe
siècle. L’église saint-Vincent a gardé sous son porche, un portail roman très
simple en pierre rouge composé de deux arcs en plein cintre, à la moulure
ronde, dont l’un est parcouru de dix motifs sculptés en forme de boules. Les
arcs reposent, de chaque côté, sur deux colonnes dont l’une est engagée dans le
mur, au point que l’on peut croire à une simple moulure accentuée, et l’autre,
tout à fait libre, montre un fût en pierre blanche.
Au-dessus du portail, une grande inscription lapidaire
indique «1682», date de la réfection probable de l’église, laquelle a belle
allure, avec son imposant clocher terminé par une cornique moulurée qui
soutient une toiture en ardoise à quatre pentes, surmontée d’une grande
girouette formée d’une croix, d’un coq et d’une flèche en fer forgé.
Un remarquable appareil, en pierres grises et jaunes,
constitue les murs de l’église, où sont percées d’étroites fenêtres. Le chevet
plat est partiellement refait en moellons, mais garde un beau chaînage d’angle.
A peine la porte franchie, le visiteur est saisi par la
présence, à sa gauche, d’une Vierge en bois doré, assise sur un trône.
L’archaïsme des gestes fait penser à l’époque romane, mais la richesse
d’ornement des vêtements et leur léger mouvement traduisent une œuvre gothique.
Des fleurs de lys sont semées sur la robe de l’Enfant et de simples feuilles
sur le manteau de la Mère ,
manteau ramené sur les genoux, qui laisse bien dégagé le buste revêtu d’une
simple robe à plis. La Vierge
esquisse un curieux geste du bras droit levé, avec la main en prolongement qui
pince entre le pouce et l’index iun objet disparu : peut-être une
fleur ? L’Enfant Jésus caresse de la main droite, la joue de sa mère et de
la gauche, soutient un globe surmonté d’une croix. Ses cheveux bouclés et
torsadés, coiffés d’une couronne à fleurons, encadrent un visage ingrat où
dominent un fort menton et un nez en trompette. Le visage de la mère est plus
noble et hiératique, avec des traits plus fins mis en valeur par un long voile
retenu par une couronne simple. Le ciseau malhabile du sculpteur a façonné
d’énormes pieds avec des doigts élargis à l’Enfant Jésus, accentuant ainsi son
aspect difforme. Cette statue a été montrée à l’exposition de 1965, à
Saint-Palais.
Provenant d’une chaire, un abat-voix décoré d’une colombe au
milieu de rayons dorés est curieusement réutilisé, tout de suite à gauche, pour
orner les fonds baptismaux fermés par deux portes et entourés de grandes
volutes rouges et vertes, sculptées de fleurs d’acanthe dorées. Cet ensemble
dissimule la vasque en pierre surmontée d’un arc en plein cintre, avec
au-dessus une gravure du baptême du Christ édité à New-York par Tugis Jeune.
Au-dessus de l’escalier menant aux galeries, à droite, est
accroché un intéressant Christ en croix en bois polychrome et de facture naïve.
Le sculpteur a donné à la chevelure du Crist, qui tombe sur son épaule droite,
un curieux mouvement tournant.
Deux éléments impriment leur marque à l’église et la
réchauffent : un parquet en chêne aux lames disposées en chevrons et
surtout un triple retable qui meuble le chœur sous un arc triomphal en bois,
au-dessus duquel est peinte une grande frise de gerbe de blé et de vignes,
relativement moderne. Le triple retable date probablement du XVIIe
siècle, au moment de la restauration en 1682.
La travée centrale est encadrée de deux hautes colonnes
cannelées à chapiteaux corinthiens dorés. La base des colonnes est ornée de
pampres dorés sur fond rouge et se rétrécit brutalement au niveau du socle,
pour donner l’impression inattendue d’une colonne rognée et enfoncée dans une
sorte de corbeille décorée et deux rangs de godrons élancés. Au sommet, un
entablement cintré à modillons reçoit deux pots à feu à ses extrémités et une
agraphe sculptée de feuilles et fleurs d’acanthe à l’effet déjà rococo, au
centre. Au milieu du retable, une grande niche oblongue abrite la statue du
saint patron.
Les deux travées latérales reprennent la même dispositif en
plus réduit, avec des pilastres cannelés dorés au lieu des colonnes et un
cintre plus accentué.
La particularité de chaque niche est d’être percée au milieu
de la peinture des retables. Dans la travée centrale, la niche enfoncée dans le
mur, montre à son sommet une superbe coquille et sur son pourtour, un gros tore
feuillagé, le tout doré.
A sa base, le culot est sculpté d’une tête d’ange émergeant
d’ailes déployées. Le visage gras et joufflu de l’ange s’accompagne d’un
sourire béat sous une épaisse chevelure de moine tonsuré. La statue de Saint-Vincent
l’évêque, tenant la crosse de la main gauche et bénissant de la droite, est
étrange : l’œuvre adopte une forme conique, avec une mitre étroite, un
visage triangulaire, une robe et un surplis s’évasant vers le bas et un simple
manteau en mouvement. Mains et visage sont d’un blanc laiteux, avec seulement
un peu de rose sur les pommettes et le vêtement d’une magnifique dorure à la
feuille.
Autour de la niche qui reçoit la statue, un tableau peint
sur bois est réparti sur deux registres : en haut, une architecture en
trompe-l’œil dessine un arrondi qui suggère la profondeur. Sur notre droite un
Saint-Laurent tient la grille, instrument de son supplice et une palme ;
de même sur notre gauche, Saint-Etienne tient une pierre et une palme de
martyre. Sur leur dalmatique, la chasuble rouge fait écho au rouge manteau du
Père Eternel qui paraît au sommet d’une voûte céleste feinte. Les visages
délicats des deux diacres, auréolés d’or, sont très bien peints, mieux sans
doute que le visage assez brutal de Dieu le Père émergeant d’une chevelure et
d’une barbe blanche abondantes couvrant
son vêtement bleu. Les couleurs et la facture de qualité traduisent une
œuvre du XVIIe siècle. On doit regretter que le registre du bas ait
été totalement repeint récemment en utilisant les motifs de bouquets de fleurs
et d’architecture d’un très médiocre effet. Les sujets peints qui décoraient
sans doute le pourtour des deux niches latérales ont disparu, remplacés par une
peinture rouge uniforme.
Le tabernacle mérite notre attention, même s’il a été en
partie refait. Sur la porte cintrée encadrée de modillons, un grand calice est
sculpté et doré. Les côtés du coffre sont ornés de corbeilles de fruits. Les
ailes du tabernacle montrent sur le panneau de gauche la sculpture de
Sainte-Lucie portant sur un plateau ses yeux suppliciés et tenant, dans sa main
droite, un large pan de manteau sur fond de nuage et de palmes de
martyre : sur le panneau de droite, la sculpture de
Sainte-Catherine-d’Alexandrie tenant une épée tournée vers le bas dans sa main
droite, avec un morceau de la roue de son supplice à son pied gauche et une
palme de martyre à son pied droit, est couronnée sur un fond de nuage doré. Les
deux panneaux sont cantonnés de colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens, à
la sculpture taillée directement dans l’épaisseur du bois, avec aux extrémités,
de grandes volutes de feuilles d’acanthe.
Mendibeko tabernaklea |
Au-dessus du tabernacle, l’exposition se présente comme une
niche presque fermée surmontée d’une galerie arrondie, composée de petits
balustres et soutenant un dôme en forme de «casque», de feuilles d’acanthe
tournées vers le bas.
L’expositoire est accosté de deux volutes d’acanthe et son
architecture composée de quatre statues d’anges aux mains jointes, dont le
buste repose sur une console et dont les ailes forment l’arrondi des arcs
délimitant la niche de devant et les panneaux cintrés des côtés. Les panneaux
latéraux représentent l’Annonciation : à droite, la Vierge est assise devant un
lutrin avec un livre ouvert ; à gauche, l’archange Gabriel pointe l’index
gauche vers le Ciel et une robe fortement agitée de mouvements baroques découvre
une longue jambe dénudée. L’ensemble de cette sculpture dorée sur bois traduit
le goût de la seconde moitié du règne de Louis XVI. Sur l’autel, un gradin est
orné de trois belles fleurs de lys encadrées de rinceaux. La table d’autel
possède un médaillon central sculpté d’un agneau étendu sur la croix au milieu
des rayons. Enfin, la marche de l’autel dessine un motif géométrique composé de
bois d’essences et de couleurs variées.
Bustince-Iriberry
Bustince-Iriberry
Chacune sur la colline, l’une saluant l’autre, les deux
chapelles jumelles de Bustince et d’Iriberry ont gardé leur aspect médiéval. Elles
montrent un chevet plat et des fenêtres très étroites taillées en biseau. La
façade en pierre de taille de leur clocher est percée de deux arcades abritant
une cloche. L’arrière du clocher est monté en colombage.
Bustince, mentionnée comme paroisse en 1388, est dédiée à
Notre-Dame-de-l’Assomption, Iriberry à Saint-Vincent. Les murs de Bustince sont
en bel appareil, davantage soigné à la base. Sous le porche, au centre d’un
banc de pierre qui réutilise un jarleku
de 1780, s’ouvre un étroit portail en arc brisé sans ornement, percé dans un
mur épais. Sous le clocher, une salle précède la nef et conserve à gauche, un
bénitier rond en pierre engagé dans le mur. La deuxième porte franchie, on
découvre le curieux dallage de la chapelle constitué de grandes pierres
inégales, percées pour la plupart d’un trou à une extrémité qui permettait de
les soulever, souvenir dune époque où l’on enterrait les morts dans l’église. A
gauche, les fonds baptismaux primitifs sont composés d’une vasque en pierre,
bloquée dans le mur et dont le débordement extérieur a nécessité la
construction d’un contrefort sur la façade. La vasque est surmontée d’un bel
arc aux claveaux parfaitement jointés.
Un retable assez sommaire possède une peinture naïve de
l’Assomption, signée et datée «Chavauty 1848» et portant l’inscription «Hiriart
curé», commanditaire de l’œuvre.
Iriberriko erretaula |
Sur le mur de gauche, une statue médiévale en bois
polychrome représentant Saint-Jean l’Evangéliste, imberbe tenant un livre, a
été montrée à l’exposition d’Art Sacré Navarrais, organisée à Saint-Palais en
1965.
Sur le mur de droite, dans une vitrine composée de colonnes
en bois doré, est abritée une naïve Vierge à l’Enfant, du XVIIe
siècle. La statue en bois richement doré à une allure allongée. La Vierge Marie soutient de la
main droite le pied droit de l’Enfant Jésus qui bénit. Une couronne haute et
étroite est posée sur le voile de la
Vierge , tombant sur l’ample robe agitée d’un mouvement
baroque.
Iriberrin, Donjoni Ebanjelista, erdi arokoa |
Les cimetières de ces deux chapelles renferment
d’intéressantes stèles discoïdales du XVIIe siècle.
Les églises sœurs subissent parfois des transformations
radicales. Jusqu’en 1762, le recteur de Lacarre et Gamarthe habitait le
presbytère de Lacarre, ce dernier village étant connu dès le XIIe
siècle. Lorsque Harispe, le futur Maréchal de France, acheta le château de
Lacarre, il fit reconstruire la vieille église dans un style fonctionnel et
banal. A l’intérieur, un retable d’époque restauration possède une peinture
représentant Saint-Martin-de-Tours, signée et datée «F. Rigal 1836». En revanche, l’église de Gamarthe fut modifiée en
1783, si nous en croyons la date trois fois répétée sur les linteaux en pierre
grises des fenêtres méridionales. Sous un porche très protégé, se trouve un
portail en plein cintre à grands claveaux de pierre.
Dans la belle porte en bois, une porte plus petite est
percée, avec un décor sculpté d’une croix et de billettes. A l’intérieur, deux
étages de galeries latérales en bois et une tribune respectent une tradition
implantée en Basse-Navarre depuis la fin du XVIe siècle. Les
peintures ornementales du chœur et le tableau votif de Saint-Laurent à genoux,
datent du XIXe siècle. En général, les édifices placés à proximité des
routes très fréquentées ont souffert davantage du goût modernisateur. Une étude
plus complète démontrerait cependant que la majorité des églises du pays de
Cize jusqu’à Arnéguy, appartient par l’unité de leurs retables, au mouvement
décoratif issu de l’application tardive des consignes du Concile de Trente. Les
réalisations sont plus ou moins inspirées des grands styles appelés «baroque à
la française» ou «classicisme Louis-Quatorzien», mais gardent toujours la
fraîcheur d’un art populaire, avec parfois une touche tout à fait naïve.
(1) Gil Reicher en donne une
description romantique et charmante dans son étude : Une excursion aux églises d’Alciette et de Bascassan, paru dans Cathédrales du Sud-Ouest au fil des ondes,
1939, Imprimerie Fontas, Périgueux. Pages 102 à 115. Puis dans un tiré à
part édité par la mairie de
Saint-Jean-Pied-de-Port,en 1945. Cet opuscule nous a été aimablement communiqué
par M. Gérard Eder.
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