vendredi 27 janvier 2017

Gérard Eder: Le saint oublié de la chapelle de Bascassan et Les "saint Michel" de Bascassan et d'Alciette

Le saint oublié de la chapelle de Bascassan

Par Gérard Eder
Article paru dans le bulletin du Musée basque, 2e semestre 2014, n° 183


Ahatsa-Alzieta-Bazkazaneko Sant Andre kaperako bi errauletarik batek badu tela bat Pietro Rosini erakusten duena. San Pietro martira deitua, fraide dominikano, XIV. mendearen lehen partekoa, kanonizatua, inkizisionaren patroin izendatua izan zen. Holako obra nolaz den leku konpreni daiteke, beharbada, gogoratzen dadugu XVI. mende azkenera Benarroa erlisio gerlak xehatu zuela.

Un des deux retables de la chapelle Saint-André, située dans le village d’Ahaxe-Alciette-Bascassan, en Pays Basque intérieur, contient une peinture représentant Pietro Rosini, dit saint Pierre Martyr, moine dominicain italien de la première partie du XIVe siècle qui, après sa mort, fut canonisé et déclaré saint patron de l’Inquisition. La présence d’une telle œuvre à cet endroit s’explique sans doute par les guerres de religion qui ravagèrent la Basse Navarre à la fin du XVIe siècle.



La chapelle Saint-André se trouve dans le hameau de Bascassan qui, au milieu du XIXe siècle, fusionna avec ceux d’Ahaxe et d’Alciette pour former l’actuelle commune d’Ahaxe-Alciette-Bascassan en Basse Navarre, dans le pays de Garazi. C’est une chapelle peinte dont le bâtiment actuel remonte à la toute fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe siècle. Elle est bâtie sur le même modèle que sa jumelle, la chapelle Sainte-Croix d’Alciette, appelée aussi parfois Saint-Sauveur.

Deux retables
La chapelle possède deux retables divisés en travées. Le plus petit est consacré aux femmes (la Vierge, les saintes Femmes, sainte Catherine d’Alexandrie). Le second, de taille beaucoup plus importante, comporte trois niveaux, chaque personnage étant séparé des autres par de petites colonnes cannelées et torsadées. Il est ordonné de façon quasi hiérarchique.
Au commet, se trouve Dieu le Père, qui semble sortir du mur en portant dans sa main gauche un globe terrestre surmonté d’une croix et en faisant, de sa main droite, le signe de sa bénédiction ; à sa droite, se trouve une représentation presque enfantine du Christ portant sa croix sur son bras et, juste à côté, un oiseau doré symbolisant le Saint-Esprit.



En dessous, figure le Christ en croix. Il est entouré à sa droite, de saint Jean-Baptiste et de la Vierge Marie et, à sa gauche, de Marie Madeleine. On trouve ensuite, sur le même niveau, le donateur anonyme à genoux.
Enfin au niveau le plus bas, sont représentés saint Léon portant sa tête dans ses mains, saint Pierre apôtre, avec les clés du Paradis, saint André apôtre, au centre de sa croix en X, saint Paul apôtre portant l’épée et saint Pierre martyr. Ce sont des peintures naïves d’une grande fraîcheur qui sont aussi anciennes que le bâtiment lui-même.
Mais sur ce retable, deux personnages étaient jusqu’à présent restés anonymes. D’une part le donateur qui est toujours inconnu, d’autre part saint Pierre martyr, nettement différencié de saint Pierre apôtre, dont jusqu’alors on ne pouvait préciser l’identité exacte, le lieu ou l’époque où il avait vécu et quelle était son histoire.
Situé juste en dessous du donateur, saint Pierre est représenté en habit de moine, un sabre ou un cimeterre au travers du crâne, tenant une palme dans la main droite et un livre ouvert dans la main gauche.

Ce que disait la benoîte
Il ya quelques années, des recherches entreprises avec le regretté Mattin Carrère pour identifier ce saint Pierre martyr n’avaient rien donné. Il faut dire que le nombre de saints portant ce prénom est impressionnant dans la martyrologie catholique. De plus, nous étions partis d’une hypothèse logique mais qui s’avéra fausse : nous pensions en effet qu’il devait s’agir d’un saint navarrais ou espagnol martyrisé lors des guerres de la «Reconquista». La suite allait montrer que nous nous trompions lourdement.
Les choses en seraient restées là si, par le plus grand des hasards, je n’étais tombé récemment sur une transcription (1) d’un court enregistrement de Marie-Louise Cadiou réalisé en 1987. Cette femme, décédée en 1991, était la dernière benoîte de Bascassan et du Pays Basque (2).
Voici la façon dont elle décrivait le retable principal :
«Dieu, le globe à la main qui nous bénit de sa main droite. Le Fils avec sa croix, qui nous a sauvés avec sa croix. Le Saint-Esprit, le soleil et tout. A la deuxième rangée, Jésus-Christ qui supplie avec les deux bras montés et la mère en pleurant avec le mouchoir, que ça veut dire que c’est du XVIe siècle.
Saint Jean-Baptiste, l‘agneau au genou et le petit franciscain.
Ici, les Apôtres.
Saint André, patron de l’église, patron du quartier qui n’a jamais refusé des grâces. Et à la cloche, c’est écrit : «saint André, ora pro nobis».
Saint Pierre avec ses clefs qui va nous ouvrir les portes du ciel.
Saint Léon qui a été décapité voulant corriger Bayonne.
Saint Paul qui était boiteux et qui montre le pied tordu».
Enfin, et c’est nous qui soulignons, «saint Pierre martyr, le directeur du couvent dominicain qui guérissait les malades».
En cherchant dans cette direction, c’est-à-dire dans celle d’un saint dominicain, nous avons été rapidement mis sur la piste d’un membre de l’ordre des Prêcheurs (o.p.), connu effectivement sous le nom de saint Pierre martyr. C’est ce que nous a confirmé le frère Jean-Michel Potin, directeur de la bibliothèque du Saulchoir de Paris, bibliothèque centrale de la Province dominicaine de France, en nous indiquant que saint Pierre martyr était aussi connu sous le nom de saint Pierre de Vérone et appartenait bien à son ordre. Et il ajoutait : «Hérétique converti à la foi, puis devenu lui-même dominicain et inquisiteur, il mourut des mains d’un de ses anciens coreligionnaires» (3).

Or ce saint Pierre de Vérone est généralement représenté vêtu de la robe blanche et du manteau noir des Dominicains et, planté dans la tête, l’instrument de son martyre, un fendoir ou une hache.
C’est exactement la scène que reproduit la peinture du retable de Bascassan et que l’on trouve couramment dans les œuvres du XVe et du début du XVIe siècles. Un peintre dominicain célèbre, Fra Angelico, avait traité ce thème dès 1429 et il fut suivi plus tard par de nombreux autres. Parmi les exemples les plus connus : le polyptique d’Andrea de Giovani (dit Andrea de Murano) datant de 1478, actuellement conservé à la Galerie de l’Académie de Venise où il occupe tout le panneau droit, le portrait du même saint du peintre espagnol Pedro Berrugete datant de 1493 qui est accroché au musée du Prado à Madrid et celui de Vittore Carpaccio de 1505 qui se trouve au Philbrook Museum of Art à Tulsa, Etats-Unis.

Du catharisme à l’Inquisition
Mais qui était ce Pierre de Verone ? Pietro Rosini, connu en italien sous les noms de Pietro Martire ou Pietro da Verona, est né aux environs de 1205 à Verone, dans une famille de Cathares. Ces derniers étaient très influents dans le Midi de la France et le Nord de l’Italie. L’Eglise de Rome qui les tenait pour hérétiques, lança contre eux une croisade, dite des Albigeois, qui se poursuivit pendant trente cinq ans (de 1209 à 1244) et qui fut conduite à ses débuts par le sinistre Simon de Montfort.
Pietro Rosini partit étudier à Bologne et c’est pendant cette période qu’il entra chez les Frères Prêcheurs, alors que saint  Dominique  était encore vivant. Il prêcha surtout en Italie du Nord contre les Cathares, et fut prieur à Asti et à Plaisance. Toutefois, son principal lieu d’activité resta Milan où il fonda le monastère dominicain de San Pietro in Campo Santo. En 1251, le pape lnnocent IV le nomma inquisiteur pour Milan et Côme, dont il fut prieur du couvent. Le 6 avril 1252, le samedi de Pâques, il fut attaqué sur la route de Côme à Milan, blessé à coup de serpe et poignardé par un certain Pietro da Balsamo, dit Carino. Deux ans seulement après sa mort, le pape Innocent IV le canonisait pour exalter en lui le héros de la lutte contre l’hérésie cathare. Il fut proclamé saint patron de l’Inquisition.




La présence dominicaine en Pays Basque
On peut se demander maintenant pourquoi ce saint qui ne quittera jamais l’Italie du Nord et dont la renommée est aujourd’hui toute relative, figure sur le retable d’une petite chapelle située au fin fond du Pays Basque.
Nous n’avons pour l’instant aucune réponse satisfaisante à cette question. Il est vrai que les frères Prêcheurs furent présents très tôt dans notre région. Le castillan Dominique de Guzman qui devint plus tard saint Dominique, passa par les cols de Cize au moins trois fois, en 1204, 1205 et 1218. Le 28 août 1215, il remettait l’habit des Prêcheurs au premier basque dominicain, Jean de Navarre (4). Ce dernier était originaire de Saint-Jean-Pied-de-Port et c’est là, semble-t-il qu’il avait rencontré Dominique lors d’une traversée transpyrénéenne de ce dernier. Il fit partie de ses tout premiers disciples.
Quelques années plus tard, en 1221, on trouve la présence de l’ordre des Prêcheurs à Bayonne (un an avant que les Dominicains ne s’établissent à Bordeaux), où est fondé un couvent au Réduit, dans le quartier du Bourg Neuf. Les Dominicains locaux bénéficièrent en outre de la protection et de la générosité de l’un des leurs, le Bayonnais Guillaume-Pierre Godin, qui fut le premier provincial de son ordre en Provence puis à Toulouse. Créé cardinal en 1312, il a participé aux conclaves de 1314-1316 et de 1334.
Mais l’activité dominicaine dans la région est en elle-même, insuffisante pour expliquer la présence de saint Pierre martyr sur le retable de Bascassan. Car si le peintre du retable et/ou le donateur avaient voulu simplement honorer un ordre religieux auquel ils étaient liés, il aurait été plus logique pour eux de faire figurer sur le retable saint Dominique lui-même, voire Jean de Navarre, l’enfant du pays.

Un lien avec les guerres de religion ?
On peut alors se demander si saint Pierre martyr n’a pas été choisi moins pour son appartenance aux Dominicains que pour son titre de patron de la Sainte Inquisition. Car pour le reste du retable, la peinture qui le représente date du premier tiers du XVIIe siècle, époque où la chapelle Saint-André avait été reconstruite, ou largement restaurée, après avoir été partiellement ou totalement détruite en 1569 par les troupes protestantes de Montamat.
Si l’édit de Nantes de 1598 mit fin provisoirement aux conflits armés entre catholiques et protestants, il n’instaura pas pour autant une coexistence pacifique et harmonieuse entre les tenants des deux religions. Loin s’en faut. Sur le plan local les tensions persistèrent. Ainsi les Eglises réformées du Béarn et de Navarre refusèrent de se conformer à la cause de cet édit qui prévoyait la restitution à l’Eglise catholique des biens qui lui avaient été confisqués dans les zones tenues par les protestants. La situation s’envenima en 1614 lorsque les Etats généraux demandèrent au roi Louis XIII de proclamer l’union du Béarn et de la Navarre à la France, provoquant la colère des élites locales.
C’est pourquoi en 1620, dix ans après la mort d’Henri IV, son fils mena une expédition militaire contre le Béarn. Le 15 octobre de cette année-là, il était à Pau et deux jours plus tard, ses troupes s’emparaient de la forteresse de Navarrenx, tenue jusqu’alors par les protestants.
Il rétablissait l’Eglise catholique dans ses droits, malgré l’hostilité des protestants locaux qui, en décembre de la même année, reçurent l’appui de l’ensemble des représentants des Eglises réformées réunis à La Rochelle. Dès lors, les protestants reprirent la lutte dans le Midi, lutte qui ne cessa pratiquement jamais jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes par Louis VIV en 1685.
Dans ce contexte agité, il n’est nullement impossible que la représentation de saint Pierre martyr, saint patron des inquisiteurs, sur le retable de Bascassan, ait eu une signification précise, dirigée contre les protestants voisins. Mettre en avant ce saint —à une époque où il était sans doute beaucoup plus connu qu’aujourd’hui— était une façon d’assimiler  les protestants aux Cathares (c’est-à-dire aux hérétiques) dont ils partageaient d’ailleurs la critique féroce des pompes et des mœurs de l’Eglise de Rome. C’était aussi un moyen détourné d’affirmer que les catholiques, eux non plus, ne désarmaient pas et étaient toujours prêts à en découdre. Cette assimilation des protestants aux hérétiques dura d’ailleurs fort longtemps (au moins jusqu’au concile Vatican II, 1962-1965) dans les hautes sphères de l’Eglise catholique, du moins dans sa frange la plus traditionnaliste (5).


Marie-Louise Cadiou prête à faire sonner la cloche de Bascassan

Hommage à la benoîte
Pour conclure, on peut se demander comment Marie-Louise Cadiou, notre benoîte, eut connaissance du parcours de ce saint qui, comme elle l’affirmait avec justesse, était à la fois dominicain et directeur de couvent ? Nous n’en savons rien. Mais pendant le demi-siècle où elle remplit les fonction de benoîte de la chapelle Saint-André de Bascassan, il n’est pas impossible qu’elle ait eu, au nombre de ses milliers de visiteuses et de visiteurs, une érudite ou un érudit qui connaissait non seulement l’existence de Pierre de Vérone mais, de plus, était familiarisé avec sa représentation traditionnelle. Et c’est finalement grâce à elle que cette information a pu parvenir jusqu’à nous.

Notes
(1) Archives personnelles de l’auteur. Une copie de cet enregistrement avait été archivée à l’époque à Radio France Pays Basque.
(2) NDLR : en Gipuzkoa, Juanita Aiestaran Bengoa à Lazkao est toujours en activité au début des années 2000.
(3) Courrier à l’auteur du frère Jean-Michel Potin (o.p.), directeur de la bibliothèque du Saulchoir de Paris.
(4) Article du frère Thomas Abeberry (o.p.), «Le premier basque dominicain», Gure Herria n° 6, 1954, reproduit à l’occasion du VIIIe congrès d’Etudes basques, Donostia 2004.
(5) Voir par exemple l’éloge de l’Inquisition et de saint Pierre martyr faite par le cardinal Schuster (ancien archevêque de Milan, béatifié en 1996) dans son Liber sacramentorum.



Les «saint Michel» 
de Bascassan et d’Alciette

Par Gérard Eder
Article paru dans le bulletin du Musée basque n°188, 1er semestre 2017

On a souvent l’habitude de qualifier de «sœurs» les chapelles de Saint-André de Bascassan et Sainte-Croix d’Alciette, toutes deux situées sur la commune d’Ahaxe, en Basse-Navarre. C’est notamment l’expression qu’emploie Gil Reicher qui écrit : «Ces églises, absolument sœurs quant à la construction et à la décoration, ne sont pas très grandes. Elles comportent un porche surmonté d’un auvent». De son côté, Bernard Duhourcau constate que «ces deux sanctuaires semblent avoir été construits sur des plans semblables à la même époque et par les mêmes artisans. Pareillement revêtus de chaume et couverts de tuiles rousses, entourés de l’enclos de leur cimetière, ils accueillent les fidèles avec le même porche tout en auvent surmonté du même clocher à arcade». Là, Bernard Duhourcau commet une petite erreur, car les clochers ne sont pas identiques. Celui de Bascassan est un véritable clocher auquel on accède par la galerie du premier étage, alors qu’à Alciette, il s’agit d’un simple clocheton que l’on ne peut atteindre, à l’aide d’une échelle, qu’en passant par le toit.
Les édifices primitifs qui dataient sans doute de la fin du XIIIe siècle, ont été très fortement endommagés en 1569 lors des guerres de Religion et reconstruits ou restaurés ensuite dans le premier tiers du XVIIe siècle.
Quant aux peintures, dans leur majorité, elles datent de la première partie du XVIIe siècle. Dans un article paru en 1991, Olivier Ribeton notait que «la richesse de ces églises demeure leur décor intérieur qui allie de manière originale l’architecture classique de bois travaillé et la vivacité des peintures maladroites». Et il poursuivant qu’ «Eugène Goyheneche estimait avec raison ces peintures naïves attachantes par la fraîcheur de l’inspiration et l’harmonie des couleurs».
Plusieurs peintures représentent des sujets communs aux deux chapelles, notamment saint Michel et le Dragon, sainte Catherine d’Alexandrie, la Vierge en pleurs, saint Pierre et saint Paul et des fonds baptismaux illustrés par Jésus et saint Jean Baptiste sur les rives du Jourdain. Ce qui traduit, pour le moins, une inspiration commune et un lien de parenté certain entre les deux édifices. Cependant, un examen plus poussé de ces peintures fait apparaître des différences notables entre certaines œuvres. Nous nous en tiendrons essentiellement, pour l’instant, à saint Michel.


 Fig 1. Bazkazanen

Le saint Michel de Bascassan
Saint Michel terrassant le Dragon est un thème récurrent dans la peinture religieuse chrétienne. Il illustre un passage de l’Apocalypse de Jean (12-7) qui dit notamment : «Alors il y eut une bataille dans le ciel : Michel et ses anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses anges, mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel».
A Bascassan, saint Michel (fig. 1) est peint sur toile, vêtu d’un vêtement militaire léger à la mode Louis XIII. Il tient une épée dans la main droite et une balance dans la main gauche pour peser les âmes. A ses pieds, le dragon est à terre et tend ses pattes griffues vers un des fléaux de la balance pour tenter de le faire pencher de son côté. Olivier Ribeton lui trouvait une attitude nettement plus belliqueuse que celui d’Alciette.
C’est une toile d’assez grande taille (0,88 m X 1,40 m), située à droite du retable principal (fig. 2), qui étonne un peu par la posture du personnage principal. En effet, en tenant son épée pointée vers le bas, saint Michel a peu de chances de terrasser le Dragon, voire de le blesser sérieusement.
C’est lors de la restauration de cette toile en 1991-1992 par Françoise Martin-Dareths, de Bordeaux, que l’on a pu expliquer cette anomalie. En passant la toile aux rayons X, la restauratrice s’est aperçue qu’en fait existait, sous la toile actuelle, une toile primitive où saint Michel brandissait son épée vers le haut. Mais les proportions ayant été mal calculées, la lame sortait très largement du cadre de la toile (fig. 3 et 4). Pour corriger cette erreur, l’artiste avait donc recouvert cette première version par une seconde, dans laquelle l’épée était entièrement contenue dans la toile.




















Fig. 3 et 4

Le saint Michel d’Alciette
A Alciette, saint Michel (fig.5) se tient à gauche du retable (fig.6). Ce qui frappe au premier abord, c’est la différence de taille entre les deux peintures. Le saint Michel d’Alciette est près de deux fois plus grand (228 cm2) que celui de Bascassan (123 cm2). Ensuite, la peinture d’Alciette repose sur un support en bois et non en toile. Enfin, à Alciette, l’épée a été remplacée par un glaive, beaucoup plus court, dressé vers le haut. L’arme a donc été considérablement raccourcie, ce qui semble indiquer que l’on n’a pas voulu reproduire l’erreur de Bascassan. Ce qui pourrait signifier aussi que la peinture d’Alciette serait plus récente.


Alzietan fig. 5
Mais à Alciette, le saint Michel est traité avec moins de soin et de rigueur qu’à Bascassan. Par exemple, les deux ailes sont asymétriques, les deux fléaux de la balance sont figurés sous la forme de simples cercles, le casque est beaucoup plus sommaire. En outre, on ne voit du dragon que deux pattes et la tête, le reste du corps, représenté à Bascassan sous la forme d’une longue queue reptilienne, n’existe pas. Ajoutons que  la peinture est excentrée vers la gauche, ce qui laisse un vide entre saint Michel et la colonne extérieure du retable. Le tout donne l’impression d’un rajout hâtif, peut-être pour remplacer une peinture primitive plus importante qui aurait disparu, enlevée ou détruite.
On pourrait d’ailleurs dire à peu près la même chose des peintures de sainte Catherine d’Alexandrie, présentes dans les deux chapelles. A Alciette, sainte Catherine peinte sur bois, se trouve à droite du retable, alors qu’à Bascassan, elle surplombe, sur la gauche, la Vierge dans le retable des femmes. Quelques autres différences importantes. D’abord, la taille. A Alciette, la sainte est plus ou moins de la même taille que saint Michel, alors qu’à Bascassan, elle est trois fois plus petite. De plus, la sainte porte une palme sur le bras droit à Alciette, sur le bras gauche à Bascassan, et là elle tient une épée de sa main droite qui rappelle qu’elle fut finalement décapitée. Enfin, le personnage d’Alciette est traité de façon plus sommaire : beaucoup moins de précision se manifeste dans les détails, par exemple dans les plis du vêtement et les manches, sur la tête qui porte une couronne, voire sur la roue de son supplice positionnée au sol, derrière elle. Quant à l’épée, elle a été carrément oubliée.

Alzietan, fig. 6
En guise de conclusion
On ne sait rien de l’identité du ou des peintres qui ont exercé leurs talents sur les murs des chapelles d’Alciette et de Bascassan. Cependant, les comparaisons entre ces peintures permettent de tirer quelques conclusions provisoires, qui seront éventuellement confirmées ou infirmées à l’avenir si l’on découvre d’autres éléments.
D’abord s’agirait-il du même peintre (ou de la même équipe de peintres) qui aurait travaillé sur les deux saint Michel ? C’est peu probable. Celui d’Alciette tranche par l’approximation des traits, non seulement par rapport à celui de Bascassan, mais aussi par rapport au reste du retable d’Alciette, dont la peinture centrale qui représente la Présentation de Jésus au Temple de Jérusalem, également appelé Purification de Marie (Luc 2-22), est d’une grande beauté et montre un vrai souci du détail et de la composition. De plus, les peintures de saint Michel et de sainte Catherine sont sans doute postérieures à celles du retable central et ont peut-être pris la place de peintures primitives aujourd’hui disparues.

Ouvrages et articles cités
Reicher Gil, 1945, De Saint-Jean-Pied-de-Port vers les curieuses chapelles de Bascassan et d’Alciette, Bureau du tourisme de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Duhourcau Bernard, 1985, Guide historique de Saint-Jean-Pied-de-Port et du Pays de Cize, Harriet.
Ribeton Olivier, 1991, Architecture religieuse, le décor des églises jumelles, in Le Pays de Cize, Editions Izpegi.

Goyheneche Eugène, 1979, Le Pays Basque, Pau.


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