Le
saint oublié de la chapelle de Bascassan
Par
Gérard Eder
Article paru dans le bulletin du Musée
basque, 2e semestre 2014, n° 183
Ahatsa-Alzieta-Bazkazaneko Sant Andre kaperako bi errauletarik batek badu tela bat Pietro Rosini erakusten duena. San Pietro martira deitua, fraide dominikano, XIV. mendearen lehen partekoa, kanonizatua, inkizisionaren patroin izendatua izan zen. Holako obra nolaz den leku konpreni daiteke, beharbada, gogoratzen dadugu XVI. mende azkenera Benarroa erlisio gerlak xehatu zuela.
Un des deux retables
de la chapelle Saint-André, située dans le village d’Ahaxe-Alciette-Bascassan,
en Pays Basque intérieur, contient une peinture représentant Pietro Rosini, dit
saint Pierre Martyr, moine dominicain italien de la première partie du XIVe
siècle qui, après sa mort, fut canonisé et déclaré saint patron de
l’Inquisition. La présence d’une telle œuvre à cet endroit s’explique sans
doute par les guerres de religion qui ravagèrent la Basse Navarre à la fin du XVIe
siècle.
La chapelle Saint-André se trouve dans le hameau de
Bascassan qui, au milieu du XIXe siècle, fusionna avec ceux d’Ahaxe et
d’Alciette pour former l’actuelle commune d’Ahaxe-Alciette-Bascassan en Basse
Navarre, dans le pays de Garazi. C’est une chapelle peinte dont le bâtiment
actuel remonte à la toute fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe siècle. Elle
est bâtie sur le même modèle que sa jumelle, la chapelle Sainte-Croix d’Alciette,
appelée aussi parfois Saint-Sauveur.
Deux retables
La chapelle possède deux retables divisés en travées. Le
plus petit est consacré aux femmes (la Vierge , les saintes Femmes, sainte Catherine
d’Alexandrie). Le second, de taille beaucoup plus importante, comporte trois
niveaux, chaque personnage étant séparé des autres par de petites colonnes
cannelées et torsadées. Il est ordonné de façon quasi hiérarchique.
Au commet, se trouve Dieu le Père, qui semble sortir du mur
en portant dans sa main gauche un globe terrestre surmonté d’une croix et en
faisant, de sa main droite, le signe de sa bénédiction ; à sa droite, se
trouve une représentation presque enfantine du Christ portant sa croix sur son
bras et, juste à côté, un oiseau doré symbolisant le Saint-Esprit.
En dessous, figure le Christ en croix. Il est entouré à sa
droite, de saint Jean-Baptiste et de la Vierge
Marie et, à sa gauche, de Marie Madeleine. On trouve ensuite,
sur le même niveau, le donateur anonyme à genoux.
Enfin au niveau le plus bas, sont représentés saint Léon
portant sa tête dans ses mains, saint Pierre apôtre, avec les clés du Paradis,
saint André apôtre, au centre de sa croix en X, saint Paul apôtre portant
l’épée et saint Pierre martyr. Ce sont des peintures naïves d’une grande
fraîcheur qui sont aussi anciennes que le bâtiment lui-même.
Mais sur ce retable, deux personnages étaient jusqu’à
présent restés anonymes. D’une part le donateur qui est toujours inconnu,
d’autre part saint Pierre martyr, nettement différencié de saint Pierre apôtre,
dont jusqu’alors on ne pouvait préciser l’identité exacte, le lieu ou l’époque où
il avait vécu et quelle était son histoire.
Situé juste en dessous du donateur, saint Pierre est
représenté en habit de moine, un sabre ou un cimeterre au travers du crâne,
tenant une palme dans la main droite et un livre ouvert dans la main gauche.
Ce que disait la
benoîte
Il ya quelques années, des recherches entreprises avec le
regretté Mattin Carrère pour identifier ce saint Pierre martyr n’avaient rien
donné. Il faut dire que le nombre de saints portant ce prénom est
impressionnant dans la martyrologie catholique. De plus, nous étions partis
d’une hypothèse logique mais qui s’avéra fausse : nous pensions en effet
qu’il devait s’agir d’un saint navarrais ou espagnol martyrisé lors des guerres
de la «Reconquista». La suite allait montrer que nous nous trompions
lourdement.
Les choses en seraient restées là si, par le plus grand des
hasards, je n’étais tombé récemment sur une transcription (1) d’un court
enregistrement de Marie-Louise Cadiou réalisé en 1987. Cette femme, décédée en
1991, était la dernière benoîte de Bascassan et du Pays Basque (2).
Voici la façon dont elle décrivait le retable
principal :
«Dieu, le globe à la main qui nous bénit de sa main droite.
Le Fils avec sa croix, qui nous a sauvés avec sa croix. Le Saint-Esprit, le soleil
et tout. A la deuxième rangée, Jésus-Christ qui supplie avec les deux bras
montés et la mère en pleurant avec le mouchoir, que ça veut dire que c’est du
XVIe siècle.
Saint Jean-Baptiste, l‘agneau au genou et le petit
franciscain.
Ici, les Apôtres.
Saint André, patron de l’église, patron du quartier qui n’a
jamais refusé des grâces. Et à la cloche, c’est écrit : «saint André, ora
pro nobis».
Saint Pierre avec ses clefs qui va nous ouvrir les portes du
ciel.
Saint Léon qui a été décapité voulant corriger Bayonne.
Saint Paul qui était boiteux et qui montre le pied tordu».
Enfin, et c’est nous qui soulignons, «saint Pierre martyr,
le directeur du couvent dominicain qui guérissait les malades».
En cherchant dans cette direction, c’est-à-dire dans celle
d’un saint dominicain, nous avons été rapidement mis sur la piste d’un membre
de l’ordre des Prêcheurs (o.p.), connu effectivement sous le nom de saint
Pierre martyr. C’est ce que nous a confirmé le frère Jean-Michel Potin,
directeur de la bibliothèque du Saulchoir de Paris, bibliothèque centrale de la Province dominicaine de
France, en nous indiquant que saint Pierre martyr était aussi connu sous le nom
de saint Pierre de Vérone et appartenait bien à son ordre. Et il
ajoutait : «Hérétique converti à la foi, puis devenu lui-même dominicain
et inquisiteur, il mourut des mains d’un de ses anciens coreligionnaires» (3).
Or ce saint Pierre de Vérone est généralement représenté
vêtu de la robe blanche et du manteau noir des Dominicains et, planté dans la
tête, l’instrument de son martyre, un fendoir ou une hache.
C’est exactement la scène que reproduit la peinture du
retable de Bascassan et que l’on trouve couramment dans les œuvres du XVe et du
début du XVIe siècles. Un peintre dominicain célèbre, Fra Angelico, avait traité
ce thème dès 1429 et il fut suivi plus tard par de nombreux autres. Parmi les
exemples les plus connus : le polyptique d’Andrea de Giovani (dit Andrea
de Murano) datant de 1478, actuellement conservé à la Galerie de l’Académie de
Venise où il occupe tout le panneau droit, le portrait du même saint du peintre
espagnol Pedro Berrugete datant de 1493 qui est accroché au musée du Prado à
Madrid et celui de Vittore Carpaccio de 1505 qui se trouve au Philbrook Museum
of Art à Tulsa, Etats-Unis.
Du catharisme à
l’Inquisition
Mais qui était ce Pierre de Verone ? Pietro Rosini,
connu en italien sous les noms de Pietro Martire ou Pietro da Verona, est né
aux environs de 1205 à Verone, dans une famille de Cathares. Ces derniers
étaient très influents dans le Midi de la France et le Nord de l’Italie. L’Eglise de Rome
qui les tenait pour hérétiques, lança contre eux une croisade, dite des
Albigeois, qui se poursuivit pendant trente cinq ans (de 1209 à 1244) et qui
fut conduite à ses débuts par le sinistre Simon de Montfort.
Pietro Rosini partit étudier à Bologne et c’est pendant
cette période qu’il entra chez les Frères Prêcheurs, alors que saint Dominique
était encore vivant. Il prêcha surtout en Italie du Nord contre les
Cathares, et fut prieur à Asti et à Plaisance. Toutefois, son principal lieu
d’activité resta Milan où il fonda le monastère dominicain de San Pietro in
Campo Santo. En 1251, le pape lnnocent IV le nomma inquisiteur pour Milan et
Côme, dont il fut prieur du couvent. Le 6 avril 1252, le samedi de Pâques, il
fut attaqué sur la route de Côme à Milan, blessé à coup de serpe et poignardé
par un certain Pietro da Balsamo, dit Carino. Deux ans seulement après sa mort,
le pape Innocent IV le canonisait pour exalter en lui le héros de la lutte
contre l’hérésie cathare. Il fut proclamé saint patron de l’Inquisition.
La présence
dominicaine en Pays Basque
On peut se demander maintenant pourquoi ce saint qui ne
quittera jamais l’Italie du Nord et dont la renommée est aujourd’hui toute
relative, figure sur le retable d’une petite chapelle située au fin fond du Pays
Basque.
Nous n’avons pour l’instant aucune réponse satisfaisante à
cette question. Il est vrai que les frères Prêcheurs furent présents très tôt
dans notre région. Le castillan Dominique de Guzman qui devint plus tard saint
Dominique, passa par les cols de Cize au moins trois fois, en 1204, 1205 et
1218. Le 28 août 1215, il remettait l’habit des Prêcheurs au premier basque
dominicain, Jean de Navarre (4). Ce dernier était originaire de Saint-Jean-Pied-de-Port
et c’est là, semble-t-il qu’il avait rencontré Dominique lors d’une traversée
transpyrénéenne de ce dernier. Il fit partie de ses tout premiers disciples.
Quelques années plus tard, en 1221, on trouve la présence de
l’ordre des Prêcheurs à Bayonne (un an avant que les Dominicains ne
s’établissent à Bordeaux), où est fondé un couvent au Réduit, dans le quartier
du Bourg Neuf. Les Dominicains locaux bénéficièrent en outre de la protection
et de la générosité de l’un des leurs, le Bayonnais Guillaume-Pierre Godin, qui
fut le premier provincial de son ordre en Provence puis à Toulouse. Créé
cardinal en 1312, il a participé aux conclaves de 1314-1316 et de 1334.
Mais l’activité dominicaine dans la région est en elle-même,
insuffisante pour expliquer la présence de saint Pierre martyr sur le retable
de Bascassan. Car si le peintre du retable et/ou le donateur avaient voulu simplement
honorer un ordre religieux auquel ils étaient liés, il aurait été plus logique
pour eux de faire figurer sur le retable saint Dominique lui-même, voire Jean
de Navarre, l’enfant du pays.
Un lien avec les
guerres de religion ?
On peut alors se demander si saint Pierre martyr n’a pas été
choisi moins pour son appartenance aux Dominicains que pour son titre de patron
de la Sainte Inquisition.
Car pour le reste du retable, la peinture qui le représente date du premier
tiers du XVIIe siècle, époque où la chapelle Saint-André avait été
reconstruite, ou largement restaurée, après avoir été partiellement ou
totalement détruite en 1569 par les troupes protestantes de Montamat.
Si l’édit de Nantes de 1598 mit fin provisoirement aux
conflits armés entre catholiques et protestants, il n’instaura pas pour autant
une coexistence pacifique et harmonieuse entre les tenants des deux religions.
Loin s’en faut. Sur le plan local les tensions persistèrent. Ainsi les Eglises
réformées du Béarn et de Navarre refusèrent de se conformer à la cause de cet
édit qui prévoyait la restitution à l’Eglise catholique des biens qui lui
avaient été confisqués dans les zones tenues par les protestants. La situation
s’envenima en 1614 lorsque les Etats généraux demandèrent au roi Louis XIII de
proclamer l’union du Béarn et de la
Navarre à la
France , provoquant la colère des élites locales.
C’est pourquoi en 1620, dix ans après la mort d’Henri IV,
son fils mena une expédition militaire contre le Béarn. Le 15 octobre de cette
année-là, il était à Pau et deux jours plus tard, ses troupes s’emparaient de
la forteresse de Navarrenx, tenue jusqu’alors par les protestants.
Il rétablissait l’Eglise catholique dans ses droits, malgré
l’hostilité des protestants locaux qui, en décembre de la même année, reçurent
l’appui de l’ensemble des représentants des Eglises réformées réunis à La Rochelle. Dès lors, les
protestants reprirent la lutte dans le Midi, lutte qui ne cessa pratiquement
jamais jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes par Louis VIV en 1685.
Dans ce contexte agité, il n’est nullement impossible que la
représentation de saint Pierre martyr, saint patron des inquisiteurs, sur le
retable de Bascassan, ait eu une signification précise, dirigée contre les
protestants voisins. Mettre en avant ce saint —à une époque où il était sans
doute beaucoup plus connu qu’aujourd’hui— était une façon d’assimiler les protestants aux Cathares (c’est-à-dire
aux hérétiques) dont ils partageaient d’ailleurs la critique féroce des pompes
et des mœurs de l’Eglise de Rome. C’était aussi un moyen détourné d’affirmer
que les catholiques, eux non plus, ne désarmaient pas et étaient toujours prêts
à en découdre. Cette assimilation des protestants aux hérétiques dura
d’ailleurs fort longtemps (au moins jusqu’au concile Vatican II, 1962-1965)
dans les hautes sphères de l’Eglise catholique, du moins dans sa frange la plus
traditionnaliste (5).
Marie-Louise Cadiou prête à faire sonner la cloche de Bascassan |
Hommage à la
benoîte
Pour conclure, on peut se demander comment Marie-Louise
Cadiou, notre benoîte, eut connaissance du parcours de ce saint qui, comme elle
l’affirmait avec justesse, était à la fois dominicain et directeur de
couvent ? Nous n’en savons rien. Mais pendant le demi-siècle où elle
remplit les fonction de benoîte de la chapelle Saint-André de Bascassan, il
n’est pas impossible qu’elle ait eu, au nombre de ses milliers de visiteuses et
de visiteurs, une érudite ou un érudit qui connaissait non seulement
l’existence de Pierre de Vérone mais, de plus, était familiarisé avec sa
représentation traditionnelle. Et c’est finalement grâce à elle que cette
information a pu parvenir jusqu’à nous.
Notes
(1) Archives personnelles de l’auteur. Une copie de cet enregistrement
avait été archivée à l’époque à Radio France Pays Basque.
(2) NDLR : en Gipuzkoa, Juanita Aiestaran Bengoa à
Lazkao est toujours en activité au début des années 2000.
(3) Courrier à l’auteur du frère Jean-Michel Potin (o.p.),
directeur de la bibliothèque du Saulchoir de Paris.
(4) Article du frère Thomas Abeberry (o.p.), «Le premier
basque dominicain», Gure Herria n° 6, 1954, reproduit à l’occasion du VIIIe
congrès d’Etudes basques, Donostia 2004.
(5) Voir par exemple l’éloge de l’Inquisition et de saint
Pierre martyr faite par le cardinal Schuster (ancien archevêque de Milan,
béatifié en 1996) dans son Liber sacramentorum.
Le saint Michel d’Alciette
Les
«saint Michel»
de Bascassan et d’Alciette
Par Gérard Eder
Article
paru dans le bulletin du Musée basque n°188, 1er semestre 2017
On
a souvent l’habitude de qualifier de «sœurs» les chapelles de Saint-André de
Bascassan et Sainte-Croix d’Alciette, toutes deux situées sur la commune
d’Ahaxe, en Basse-Navarre. C’est notamment l’expression qu’emploie Gil Reicher
qui écrit : «Ces églises, absolument sœurs quant à la construction et à la
décoration, ne sont pas très grandes. Elles comportent un porche surmonté d’un
auvent». De son côté, Bernard Duhourcau constate que «ces deux sanctuaires
semblent avoir été construits sur des plans semblables à la même époque et par
les mêmes artisans. Pareillement revêtus de chaume et couverts de tuiles
rousses, entourés de l’enclos de leur cimetière, ils accueillent les fidèles
avec le même porche tout en auvent surmonté du même clocher à arcade». Là,
Bernard Duhourcau commet une petite erreur, car les clochers ne sont pas
identiques. Celui de Bascassan est un véritable clocher auquel on accède par la
galerie du premier étage, alors qu’à Alciette, il s’agit d’un simple clocheton
que l’on ne peut atteindre, à l’aide d’une échelle, qu’en passant par le toit.
Les
édifices primitifs qui dataient sans doute de la fin du XIIIe siècle, ont été
très fortement endommagés en 1569 lors des guerres de Religion et reconstruits ou
restaurés ensuite dans le premier tiers du XVIIe siècle.
Quant
aux peintures, dans leur majorité, elles datent de la première partie du XVIIe
siècle. Dans un article paru en 1991, Olivier Ribeton notait que «la richesse
de ces églises demeure leur décor intérieur qui allie de manière originale
l’architecture classique de bois travaillé et la vivacité des peintures
maladroites». Et il poursuivant qu’ «Eugène Goyheneche estimait avec
raison ces peintures naïves attachantes par la fraîcheur de l’inspiration et
l’harmonie des couleurs».
Plusieurs
peintures représentent des sujets communs aux deux chapelles, notamment saint
Michel et le Dragon, sainte Catherine d’Alexandrie, la Vierge en pleurs, saint
Pierre et saint Paul et des fonds baptismaux illustrés par Jésus et saint Jean
Baptiste sur les rives du Jourdain. Ce qui traduit, pour le moins, une
inspiration commune et un lien de parenté certain entre les deux édifices.
Cependant, un examen plus poussé de ces peintures fait apparaître des
différences notables entre certaines œuvres. Nous nous en tiendrons
essentiellement, pour l’instant, à saint Michel.
Fig 1. Bazkazanen |
Le saint Michel de Bascassan
Saint
Michel terrassant le Dragon est un thème récurrent dans la peinture religieuse
chrétienne. Il illustre un passage de l’Apocalypse de Jean (12-7) qui dit
notamment : «Alors il y eut une bataille dans le ciel : Michel et ses
anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses anges, mais ils
eurent le dessous et furent chassés du ciel».
A
Bascassan, saint Michel (fig. 1) est peint sur toile, vêtu d’un vêtement
militaire léger à la mode Louis XIII. Il tient une épée dans la main droite et
une balance dans la main gauche pour peser les âmes. A ses pieds, le dragon est
à terre et tend ses pattes griffues vers un des fléaux de la balance pour
tenter de le faire pencher de son côté. Olivier Ribeton lui trouvait une
attitude nettement plus belliqueuse que celui d’Alciette.
C’est
une toile d’assez grande taille (0,88 m X 1,40 m), située à droite du retable
principal (fig. 2), qui étonne un peu par la posture du personnage principal.
En effet, en tenant son épée pointée vers le bas, saint Michel a peu de chances
de terrasser le Dragon, voire de le blesser sérieusement.
C’est
lors de la restauration de cette toile en 1991-1992 par Françoise
Martin-Dareths, de Bordeaux, que l’on a pu expliquer cette anomalie. En passant
la toile aux rayons X, la restauratrice s’est aperçue qu’en fait existait, sous
la toile actuelle, une toile primitive où saint Michel brandissait son épée
vers le haut. Mais les proportions ayant été mal calculées, la lame sortait
très largement du cadre de la toile (fig. 3 et 4). Pour corriger cette erreur,
l’artiste avait donc recouvert cette première version par une seconde, dans
laquelle l’épée était entièrement contenue dans la toile.
Le saint Michel d’Alciette
A
Alciette, saint Michel (fig.5) se tient à gauche du retable (fig.6). Ce qui
frappe au premier abord, c’est la différence de taille entre les deux
peintures. Le saint Michel d’Alciette est près de deux fois plus grand (228 cm2)
que celui de Bascassan (123 cm2). Ensuite, la peinture d’Alciette
repose sur un support en bois et non en toile. Enfin, à Alciette, l’épée a été
remplacée par un glaive, beaucoup plus court, dressé vers le haut. L’arme a
donc été considérablement raccourcie, ce qui semble indiquer que l’on n’a pas
voulu reproduire l’erreur de Bascassan. Ce qui pourrait signifier aussi que la
peinture d’Alciette serait plus récente.
Alzietan fig. 5 |
Mais
à Alciette, le saint Michel est traité avec moins de soin et de rigueur qu’à
Bascassan. Par exemple, les deux ailes sont asymétriques, les deux fléaux de la
balance sont figurés sous la forme de simples cercles, le casque est beaucoup
plus sommaire. En outre, on ne voit du dragon que deux pattes et la tête, le
reste du corps, représenté à Bascassan sous la forme d’une longue queue
reptilienne, n’existe pas. Ajoutons que
la peinture est excentrée vers la gauche, ce qui laisse un vide entre
saint Michel et la colonne extérieure du retable. Le tout donne l’impression
d’un rajout hâtif, peut-être pour remplacer une peinture primitive plus
importante qui aurait disparu, enlevée ou détruite.
On
pourrait d’ailleurs dire à peu près la même chose des peintures de sainte
Catherine d’Alexandrie, présentes dans les deux chapelles. A Alciette, sainte
Catherine peinte sur bois, se trouve à droite du retable, alors qu’à Bascassan,
elle surplombe, sur la gauche, la Vierge dans le retable des femmes. Quelques
autres différences importantes. D’abord, la taille. A Alciette, la sainte est
plus ou moins de la même taille que saint Michel, alors qu’à Bascassan, elle
est trois fois plus petite. De plus, la sainte porte une palme sur le bras
droit à Alciette, sur le bras gauche à Bascassan, et là elle tient une épée de
sa main droite qui rappelle qu’elle fut finalement décapitée. Enfin, le
personnage d’Alciette est traité de façon plus sommaire : beaucoup moins
de précision se manifeste dans les détails, par exemple dans les plis du
vêtement et les manches, sur la tête qui porte une couronne, voire sur la roue
de son supplice positionnée au sol, derrière elle. Quant à l’épée, elle a été
carrément oubliée.
En guise de conclusion
On
ne sait rien de l’identité du ou des peintres qui ont exercé leurs talents sur
les murs des chapelles d’Alciette et de Bascassan. Cependant, les comparaisons
entre ces peintures permettent de tirer quelques conclusions provisoires, qui
seront éventuellement confirmées ou infirmées à l’avenir si l’on découvre
d’autres éléments.
D’abord
s’agirait-il du même peintre (ou de la même équipe de peintres) qui aurait
travaillé sur les deux saint Michel ? C’est peu probable. Celui d’Alciette
tranche par l’approximation des traits, non seulement par rapport à celui de
Bascassan, mais aussi par rapport au reste du retable d’Alciette, dont la
peinture centrale qui représente la Présentation
de Jésus au Temple de Jérusalem, également appelé Purification de Marie (Luc 2-22), est d’une grande beauté et montre
un vrai souci du détail et de la composition. De plus, les peintures de saint
Michel et de sainte Catherine sont sans doute postérieures à celles du retable
central et ont peut-être pris la place de peintures primitives aujourd’hui
disparues.
Ouvrages et articles cités
Reicher
Gil, 1945, De Saint-Jean-Pied-de-Port
vers les curieuses chapelles de Bascassan et d’Alciette, Bureau du tourisme
de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Duhourcau
Bernard, 1985, Guide historique de
Saint-Jean-Pied-de-Port et du Pays de Cize, Harriet.
Ribeton
Olivier, 1991, Architecture religieuse,
le décor des églises jumelles, in Le Pays de Cize, Editions Izpegi.
Goyheneche
Eugène, 1979, Le Pays Basque, Pau.
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